Trois fois la fin du monde, de Sophie Divry

20 Oct

Lu par… Jean-Marc

Juré séduit

 

 

 

 

Il y a peu récompensée par nos soins pour son calligramme turgescent, Sophie Divry signe ici son cinquième roman. Design Paprika et éditions Noir sur blanc, Notabilia, le graphisme du bouquin est réussi.

Honnête, la chroniqueuse des Papous dans la tête remercie d’abord des éleveurs de brebis et souligne avoir « bénéficié d’une résidence à la maison d’écrivains de Pure fiction (Lot) ». On a connu Villa Médicis plus prestigieuses.

Trois fois la fin du monde se joue en deux parties. La première, description rude de l’univers carcéral, « la prison de F. » n’étant pas exactement une nurserie. « Ce genre de prison, ça ne peut exister que dans un quelconque Bélouchistan, dans un pays lointain, sans smartphones ni élections, mais pas en France, pas chez moi. » Incarcéré pour complicité de braquage, son frère a été tué, Joseph Kamal y subit les fouilles au corps, humiliant dépucelage.

« Au bout d’un temps infini, le greffier dit que c’est bon, tout est en règle, que la fouille est terminée. Il ôte ses gants et les jette avec répugnance dans une corbeille. Je peux enfin cacher ma nudité. Mais je ne rhabille plus le même homme qu’une heure auparavant. »

Il y a les matons du bâtiment B4, les coups qui pleuvent, accepte la protection d’un caïd, souffre de la puanteur et des douches, rares. Les adjectifs aussi, sont rares. « Les matelas sont moisis, les ressorts épisodiques. » Les mots, encavés, zigomar, sont choisis, sans affectation. « On te le rend après qu’on l’a fouillé » : un maton qui inspecte le paquetage et sait que « après que » gouverne l’indicatif, c’est la France, pas le Bélouchistan.

En prison, la violence est assez ordinaire. On a beau le savoir, autant le rappeler, ça fait pas d’mal.

« Quand il craque, La-Miche marave quelqu’un. Le dimanche soir, c’est presque systématique, il attrape une cave par les oreilles, et comme pour se libérer d’une oppression ancienne, il bastonne le gamin. Lentement, lourdement. Le pire, c’est que ça tombe presque toujours sur le plus faible, celui qui a déjà une tête de victime. Le gosse encaisse sans rien dire, habitué à prendre sa raclée. Des lascars se joignent à La-Miche. Moi-même, ça m’arrive de frapper avec eux. Ça nous venge des murs, des gardiens, du procès qui fait peur, de toute cette chiennerie. Mais c’est toujours la même violence que nous recommençons et dans laquelle se continue la même fatalité, celle qui assigne les plus forts à l’exercice du mal et les plus faibles à endurer ce mal avec une servilité que je trouve plus répugnante encore. » 

Survient une catastrophe, nucléaire sans doute. Inutile de s’y attarder, elle a eu lieu et voici Joseph Kamal en cavale, dans le Lot on imagine, dans un désert rural, mais un vrai désert. La campagne, le Causse, vidé de ses habitants, tous morts, où survivent quelques rares animaux. Un mouton, une chatte, qui lui donnera deux chatons. Et l’on passe d’Alcatraz à Robinson Crusoé, pas loin du pays de Farrebique. Une forme d’île déserte, explorée peu à peu, pour trouver des victuailles, toujours les mêmes. « J’en ai marre de leur cassoulet. Putain, chuis pas planqué dans le lot pour rien, j’en ai trouvé partout de leurs conserves. » Mais aussi des outils, espérer trouver des piles pour écouter la radio, se méfier des drones qui ne viendront pas.

Cette seconde partie est aussi bucolique que la première était rude. Kamal explore son territoire, coupe des fils de fer barbelés, dans tous les westerns on fait ça.

la preuve

« Là où il rencontre ces clôtures, il ouvre. Que c’est bon, à chaque fois que les habitants avaient is un grillage, érigé une limite, d’ouvrir une faille. »

Les souvenirs d’enfance reviennent, Daniel Defoe ben sûr, mais aussi Jules Verne quand Joseph, tel un Cyrus Smith, entreprend de compter les semences, d’élever des lapins ou des truites, se montre patient, planificateur. On pense encore à Farrebique, avec un éveil du printemps assez convenu dans son exaltation sensuelle mais qui, déroulé en quelques pages, finit par imposer sa sève et son désir. «

. Les lianes courant contre le muret cognent désormais au carreau. Des bruits sourds tambourinent contre les arbres, irréguliers. Il y a du vert partout, des griffes, des cris de bêtes, des paillons. Ces feuilles, ces lianes, ces tiges, elles se tendent encore, plus longues, c’est un combat entre les flocons verts et ces feuilles avides, combat pour appâter le soleil, le garder rien que pour soi. La terre gonfle, double, triple, se recouvre d’épis, de buissons. » Oui, je les entends d’ici, mes condisciples du Virilo, ça parle de cul à mots couverts, te laisse pas berner par ces mots, la terre, elle, ne bande pas, mais on s’en fiche, les moustachu-e-s, « puisque c’est l’heure, c’est l’heure de s’aimer ».

On ne sait si ce roman se termine bien ou mal, ni même s’il se termine. Mais l’inachevé est parfois réussi.

 

Une Réponse to “Trois fois la fin du monde, de Sophie Divry”

  1. Antigone 20 octobre 2018 à 11 h 40 min #

    Excellent billet sur ce roman que j’ai adoré.

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